Parce qu'il faut faire renaître la magie [PV Isaak] - Terminé

Isaak ne lui avait pas pardonné sa dernière bavure –et pourtant, cela faisait si longtemps!-, même s’il ne lui en parlait jamais. Cela se voyait dans la manière qu’il avait de faire la moue à toutes les fois qu’il lui proposait de faire une activité en dehors des murs protecteurs de leur chambre, et il pouvait même sentir une pointe de reproche dans son regard à toutes les fois qu’il se changeait sans prévenir, comme si l’autre le prenait pour un dévergondé. Oui, plusieurs personnes l’avait vu, six mois auparavant, se balader en sous-vêtements, mais non, ce n’avait pas été faute d’essayer de s’en sortir. Il n’avait pas trouvé ses vêtements, pour commencer, parce qu’il les avait perdu après son petit voyage dans le temps, et sa tentative de téléportation d’un point à un autre s’était montrée des plus ardues après un seul essai; lui qui voulait partir de la lisière du bois pour se retrouver dans sa chambre était par inadvertance tombé en plein milieu d’une réunion de club. C’était les petites choses qui, maintenant, lui manquait le plus; de sentir Isaak se glisser subtilement dans son lit, comme espérant qu’il ne s’en rende pas compte, ou même simplement de le voir en train de se prendre la tête pour tel et tel détail, comme s’il ne savait pas par où commencer pour s’excuser. Il ne faisait plus cela, maintenant; s’il lui fonçait dedans, il ne faisait que s’excuser sans se retourner, et il prenant souvent la peine de glisser sous ses couvertures avant de se changer en se présence.

Il avait décidé qu’aujourd’hui, une fois pour toute, il prendrait en main son rôle d’homme plus âgé et tiendrait jusqu’au bout, sans flancher. Il avait attendu qu’Isaak sorte de son dernier cours, en prenant bien soin d’amener tout les éléments nécessaire à une sortie à l’extérieur. Et même si le brun venait d’un pays nordique, le nécessaire d’une sortie à cette température incluait énormément de choses; il avait tout de même tout amené, histoire que ce dernier ne le fasse pas rebrousser chemin pour un article oublié ou qu’il utilise l’oubli pour se désister. Il avait donc amené avec lui la doudoune noire de monsieur, ainsi que le bas de pantalon imperméable et rembourré de la même couleur, les bottes qui, il en était certain, étaient certifiées contre les chutes sur la glace, deux foulards –on est jamais trop prudent-, des gants de laine et des mitaines pour aller par-dessus, un cache-col, une tuque blanche qui venait de son propre garde-robe et, bien entendu, une boite complète de mouchoirs. Avec ça, il était certain de ne rien oublier. Pour lui-même, toutefois, il se contentait de ses bottes et son manteau, avec dans ses poches une paire de gant, au cas où. Il ne faisait que -5 dehors, après tout, mais c’est qu’Isaak aimait bien être douillet.

Et puis, il avait bien envie de voir l’image toute mignonne de son copain tout emmitouflé, le visage rougit par le froid –ou la chaleur, dans ce cas-ci- et légèrement de mauvaise humeur comme à son habitude. Alors il attendait avec son chargement, plus ou moins patiemment, espérant pouvoir reconquérir le cœur de son beau, tout mignon et pas très bon en cours Isaak. D’ailleurs; il avait conscience du fait qu’il ne tombait pas nécessairement au meilleur moment pour lui faire sa demande : Isaak n’était habituellement pas particulièrement de bonne humeur après être sorti d’un cours, sauf s’il en avait profité pour dormir… et que personne ne l’avait réveillé. Il soupira un instant, déplaçant le poids des vêtements pour se sentir plus à l’aise, évaché contre le mur comme il était. Il jeta un coup d’œil à deux filles qui passaient, l’air de le trouver inapproprié dans le décor; il leur répondit par une timide sourire, qu’elles eurent l’air d’interpréter comme une menace, vu la rapidité avec laquelle elles s’étaient enfuit vers le prochain couloir. Il haussa vaguement des épaules, fixant à nouveau son regard vers la porte de la salle de classe. Il entendit le son étouffé de chaises qui raclaient le sol, suivit de près par l’apparition de quelques têtes dans le cadre de porte. Il chercha du regard la foule qui tentait maintenant de l’éviter, ses yeux s’illuminant devant la bouille d’Isaak.

-Isaak~ fit-il, plein d’espoir, pour l’interpeller, bien qu’il eut été complètement improbable que ce dernier puisse ne pas le voir, étant donné qu’il prenait la moitié du corridor à lui tout seul. Tu as un moment?

La journée avait été longue; plus qu’à l’habitude, on aurait dit. Allez savoir pourquoi... Peut-être était-ce que les cours avaient été encore plus pénible qu’ils l’étaient habituellement. Enfin, pour ce qu’il arrivait à se souvenir, du moins, ayant passé une bonne partie des dernières heures - ou dernières minutes? - à fixer la fenêtre sans vraiment écouter ce que le professeur racontait. Mais après tout, l’école n’avait jamais vraiment été son point fort, et le fait que ce ne soit même pas un véritable enseignant mais bien un écran qui essayait de leur apprendre quelque chose n’aidait sans doute pas. Sans doute aurait-il du retard à rattraper ce soir, considérant à quel point il avait peu suivit, aujourd’hui...

Le menton posé au creux de sa main, son coude appuyé sur le bureau, Isaak observait la neige d’un air à la fois ennuyé et presque boudeur, ne souhaitant rien d’autre que la journée se termine, écoutant à peine le cours - cours de quoi, déjà? -, les mots ne formant qu’un semblant de bruit de fond monotone. Son cahier n’était même pas ouvert devant lui; de toute manière, à part y inscrire quelque mots par-ci par là, et les occasionnels gribouillages, il ne s’en servait pas beaucoup, oubliant souvent la fin de la phrase qu‘il voulait y inscrire avant d‘être rendu à la moitié.

Soupirant, l’adolescent croisa ses bras sur son bureau, y laissant tomber sa tête sans plus de cérémonie avec un bruit sourd, n’ayant cure des regards en coin que ses voisins ne manquèrent pas de lui lancer. C’était à croire que l’horloge faisait exprès de fonctionner au ralentit; elle n’était pas brisée, toujours? Il avait vraiment envie de s’en aller - pour peu, il en aurait rongé son crayon -, aller s’enfermer dans sa chambre et foutre ses livres sous son lit pour ne plus jamais les ressortir. Et puis, il avait vaguement faim; avait-il emmené quelque chose avec lui? Il avait bien un sac de Red Vines quelque part. Enfin, hier - ou avant-hier? - il en avait, il ne pouvait pas déjà les avoir terminés? Et où est-ce qu’il avait bien pu les ranger, aussi... Ah, dans son sac à dos, peut-être...

Relevant la tête, Isaak jeta un vague coup d’oeil autour de lui, cherchant son sac du regard. Il l’avait peut-être laissé dans sa chambre ce matin... Non, il devait l’avoir prit avec lui pour emporter ses livres; ou bien, il avait seulement prit ses livres? Murmurant d’un air agacé une suite de mots incompréhensibles, il finit par l’apercevoir sous son bureau. Se penchant légèrement, il se déposa devant lui avant de l’ouvrir, s’arrêtant soudainement de bouger. Penchant vaguement la tête, les sourcils légèrement froncés, il fixa son sac d’un air interrogateur, avant d’en sortir son étui à crayon. Puis, haussant les épaules, il reporta son attention sur la fenêtre à côté de laquelle il était assit, semblant un instant se perdre dans ses pensées

Ce ne fut que lorsque les gens commencèrent finalement à se lever pour quitter la classe, le bruit de leur conversation emplissant la salle, que Isaak réalisa que le cours venait de se terminer. Se levant sans plus attendre, enfouissant sans aucune délicatesse ses choses dans son sac, il se leva, l’air un rien moins agacé que plus tôt. Sortant finalement, son regard fut immédiatement attiré par Russell, qui l’attendait, adossé contre le mur du couloir, avec assez de vêtements pour habiller huit personnes *Mais qu'est-ce qu'il fait là...?* Haussant un sourcil, il s’approcha de lui, ne remarquant même pas la manière dont les autres tentaient d’éviter du mieux qu’ils pouvaient de s’approcher, son oeil unique allant de son petit ami à la pile de vêtements qu’il tenait, un air pratiquement confus sur le visage, ne remarquant même pas que l’autre venait de lui adresser la parole.

Puis, affichant un air vaguement mécontent, il poussa l’un des bras de Russell, faisant par la même occasion tomber la montagne de tissus qu’il tenait entre ses mains, avant de s‘approcher encore plus de lui, passant ses bras autour de ce dernier, fermant les yeux un instant. Même s'il ne voulait pas se l'avouer, l'autre lui avait manqué; il n'avait pas pu le voir sur l'heure du dîner - il ne savait plus trop pour quelle raison... -, et même si, quelque part, il lui en voulait encore un peu à cause de cette histoire de l'autre fois, au lac - rivière? marre?- , il aurait tout de même aimé pouvoir le voir.

Il n'avait aucune idée de combien de temps il resta contre lui, mais après tout, pour ce que ça pouvait bien lui faire... Se reculant finalement, il croisa les bras, le fixant d’un air signifiant clairement ‘’mais tu fous quoi ici?’’.

-Red Vines... Fit-il soudainement, cessant de s’occuper de Russell pour fouiller dans son sac, semblant presque oublier la présence de l’autre.

Mettant finalement la main sur un paquet de réglisse, il s’empressa s’en sortir une, avant de la mâcher d’un air satisfait, en tendant sans un mot une autre à Russell. Puis, baissant les yeux vers le sol, il ne pu s’empêcher de dire:

-Tu as laissé tomber tes vêtements...

Cela n’avait pas de prix; le regard en coin qu’Isaak lui jetait, valsant de la doudoune à lui dans un geste d’incompréhension la plus totale –pour rendre le portrait plus beau encore, il aurait fallu qu’Isaak comprennent un peu en retard, ses joues pâles se rosissant sous l’effet de l’agréable surprise. Mais ce n’était qu’une vague illusion, puisque cela impliquait qu’Isaak aurait compris quelque chose sans que l’on lui mette directement dans le bec. Et même encore, il était certain qu’il serait arrivé à ne pas comprendre même si on lui disait de but en blanc. Mais l’idée était là, et un tendre sourire c’était dessiné sur ses lèvres, le laissant un moment seul avec ces rêves niais d’adolescent amoureux. Il ne remarqua même pas l’interrogation soupçonneuse du sourcil haussé de son copain, perdu qu’il était dans sa contemplation furtive.

Et l’air réprobateur d’Isaak lui tomba dessus comme une soucoupe volante sortie de nulle part, défonçant le plafond pour lui enfoncer le crane alors que l’autre adolescent poussait son bras, l’obligeant à laisser tomber la majeure partie de son fardeau. Aurait-il, encore une fois, droit aux légendaires sautes d’humeur du petit bout? Il sembla retenir sa respiration, attendant l’heure du verdict avec beaucoup moins de résolution que ce qu’il aurait aimé avoir. Qu’avait-il fait de si horrible, cette fois? Il tenta un regard en douce vers les passants, qui, eux, ne firent qu’éloigner leurs regards et marcher un peu plus rapidement. Avaient-ils, eux aussi, peur des sautes d’humeur de ce simple hobbit? Lui avait peur; mais c’était normal, il avait peur de beaucoup de choses. C’était pour ça que ses yeux étaient plissés en deux petites fentes, comme si le fait de réduire la surface de contact de son regard pouvait empêcher les prochains événements de se produire.

Il Sentit Isaak s’écraser de lui de tout son poids, lui coupant le souffle. Ce n’était pas tout; Isaak, dans sa furie –cela ne pouvait être que ça, il était un ange à l’habitude- passant ses bras frêles autour de son cou. Tentait-il de l’étrangler? Avec des bras aussi peu musclés, Russell se doutait bien que la tâche serait lourde, et pourtant. Il n’eu toutefois pas le temps d’échapper un faible gémissement de désaccord que déjà, il sentait se conscience se troubler. Il était en train de se déplacer dans le temps? Non. Ce n’était pas comme ça. Là, c’était tout noir, et il sentait quelque chose lui traverser le crâne, comme si on essayait de lui arracher la partie inférieure de son cerveau. Un éclair sembla passer devant ses yeux alors qu’il sentait ses genoux fléchir sous les poids combinés d’Isaak et sa propre personne.

C’est la lueur d’une bougie qui le ramena à lui alors qu’il retrouvait l’usage de la vue; la faible lumière semblait danser sur les murs d’une grotte aux allures inquiétantes, tel l’antre d’un maître du mal n’ayant pas assez de budget pour se louer des catacombes, alors que le doigt qui la tenait semblait user de toute sa dextérité pour la tenir en place; ce n’est qu’au moment où il remarqua que le dit doigt était large et duveteux que Russell remarqua que quelque chose n’allait pas : ce n’était pas un doigt qui tenait la bougie, mais bien un bras, et un bras animal qui plus est, et le reste de la créature semblait être tellement plongé dans l’ombre qu’il lui fallut un moment pour reconnaitre en la silhouette blanche et noire la forme d’un Pingouin géant des plus impressionnant : son bec, à lui seul, aurait pu engloutir Russell sans même le croquer, et son œil était plus gros qu’un poing –drôle de contraste avec le minuscule bras qu’il avait d’abord prit pour un doigt, d’ailleurs- fermé, luisants d’une inquiétante couleur de rubis qui étincelait de mille feux, le rouge semblant couler de ses yeux pour se déverser sur le sol, emplissant peu à peu le corridor de glace, le liquide prenant la peine de grimper le long des murs avant de redescendre sur le sol en petites gouttelettes; horrifié, Russell ouvrit grand la bouche, bien que seul un hoquet de surprise réussit à dépasser le seuil de ses lèvres.

- Mais arrêtez de me regarder! arriva-t-il enfin à articuler alors qu’il revenait à lui, la douleur de son crâne qui s’était fracassé contre le plâtre du mur n’ayant d’égal que le trouble de la population étudiante autour de lui qui, une fois pour toute, décida qu’il était barj –et qu’il allait certainement tuer ce pauvre mignon et petit étudiant qui avait eu le malheur de lui rentrer dedans. Dommage; il parlait au pingouin. Donc, à personne. Ça le qualifiait automatiquement de fou, ça?

Et lorsqu’il comprit, dans les brumes de son conscience vaporeuse, qu’il avait halluciné cet être étrange après s’être frappé la tête contre le mur, tout ce qu’il trouva pour le consoler de cette sordide apparition, c’était un Isaak aux bras croisés, l’air réprobateur, qui n’avait même pas l’air de comprendre ce qu’il faisait à moitié par terre. C’était le peu de soutient qu’il avait! Il fut toutefois réconforté par une magnifique réglisse ROUGE (il eu presque un arrêt cardiaque en découvrant la couleur, mais cela passa bien vite; tout ce qui est connecté à des bonbons ne peut bien entendu pas être machiavélique) aux spirales voluptueuses qui se retrouvé écrasé contre son nez. Il releva le menton en grimaçant contre la douleur lancinante de son crane, attrapant la sucrerie entre ses dents avant de lever ses bras pour attraper le petit démon et le serrer un peu plus dans ses bras. Il avait une bonne excuse : il n’était pas conscient lors de lors première étreinte.

-En théorie, ce ne sont pas mes vêtements, tu sais, esquissa-t-il en humant ses cheveux. Ce sont les tiens. Je me suis dit que ça te dirais peut-être de faire une petite balade dehors? Il fait vraiment beau aujourd’hui; pas trop froid ni trop chaud, et il tombe des flocons tout doux gros comme des billes. Et surtout, il ne vente pas. Je sais pas… j’avais envie d’aller faire des anges dans la neige, qu’est-ce que t’en dis?

Il avait parlé tout bas, espérant que personne d’autre ne l’entende –ce qui aurait été difficile, puisque le corridor était maintenant à nouveau désert. Il laissa sa main trainer un moment dans les cheveux de soyeux*, jetant un regard en coin aux vêtements qui trainaient par terre. Et subitement, il avait vraiment envie d’habiller Isaak lui-même. Pas comme on habille un enfant (quoique les gestes auraient été les même, au final), mais plutôt comme on enveloppe quelqu’un avec une couverte alors qu’il dort à côté de vous –et le fait que vous soyez responsable de la perte de couverte ou non n’était pas importante dans ce cas-ci. Il allait laisser ses bras glisser le long du corps d’Isaak, mais son mouvement fut interrompu par la présence d’un objet étranger : un sac à dos. Damnation!

-Enlève ton sac à dos, tu veux? Et je vais t’aider à t’habiller pour aller dehors, même. Et je peux aussi porter ton sac à dos, hein, puisque c’est moi qui débarque comme ça à l’improviste.

Ne surtout pas penser au fait qu’il voulait l’habiller pour des raisons beaucoup moins saines, ou encore penser au fait qu’il n’avait pas du tout envie de faire un détour par leur chambre pour déposer les effets scolaires –parce qu’il savait pertinemment que plus il lui donnait le temps d’y réfléchir, plus il aurait l’occasion de refuser ou changer d’idée. Et pourquoi ne pas y penser? Parce qu’Isaak avait cette fâcheuse tendance de toujours pouvoir deviner ses incertitudes et les lui remettre au visage.

-Ça sent la cerise… souffla-t-il en guise de plate constatation avant de glisser un baiser tout léger sur les lèvres rougies de son cadet.

*On parle ici de phoques. Lisez Diana Gabaldon X3 Mais c’est cute D : JE VEUX MARIER LE PÈRE DE JAMIE. ET JAMIE.

Un rien déséquilibré malgré lui par le mouvement de Russell, il se laissa tout de même faire, ne pouvant s’empêcher de trouver la position un rien inconfortable, à demi affaissés comme ils l’étaient contre le mur du couloir. Après tout, il ne restait plus personne dans les environs pour les voir, et ce n’était là pas le genre de chose qui l’aurait dérangé ou arrêté; pour ce que ça pouvait lui faire, que les gens le voient ou non... D’ailleurs, où étaient-ils tous passé? Ils ne pouvaient pas déjà avoir tous disparut, ils venaient tout juste de sortir du cours... Du moins, de ce dont-il se souvenait; ça ne pouvait pas faire si longtemps que ça qu'ils avaient terminés? Mais enfin, au moins, il n’allait plus y avoir personne pour les déranger.

Cela lui prit un moment pour se rendre compte que Russell lui parlait, et qu’il ne s’agissait pas d’un simple bruit de fond tout juste perceptible qui provenait d’il ne savait trop quel endroit. Au moins, il avait toujours l’excuse que l’autre ne parlait pas très fort; mais encore, ils étaient suffisamment proches pour que cela ne change rien à la chose. Fronçant les sourcils, il releva légèrement la tête, essayant de comprendre ce que Russell était en train de lui dire.

-...ça te dirais peut-être de faire une petite balade dehors? Il fait...

Fermant les yeux à nouveau, il manqua de laisser échapper un vague grognement de mécontentement. Non, ça ne lui disait pas; il n’était pas vraiment du genre à aimer sortir à l’extérieur, et l’hiver n’était pas non plus sa saison préférée. Et puis, en cet instant, il n’y avait pas beaucoup de choses qu’il avait vraiment envie de faire, et celle-ci était loin d’en faire partie. De toute façon, l’idée d’aller faire quoi que ce soit à l’extérieur avec Russell ne l’enchantait jamais vraiment; surtout depuis cette fois là, au lac. Il savait pertinemment au fond de lui que ce n’était pas totalement de sa faute, et qu’il agissait très probablement de façon puérile, mais il n’y pouvait rien. Disons juste qu’il avait apprit sa leçon, et qu’il avait bien l’intention de ne pas répéter les mêmes erreurs.

Sentant la main de Russell dans ses cheveux, il fut un moment tenté de protester, ne serait-ce que pour la forme - ses cheveux allaient être encore plus ébouriffés, plus en désordre qu’ils ne l’étaient déjà -, mais ses paroles moururent sur ses lèvres avant qu’il n’ait le temps de les formuler. Après tout, ce n’était pas comme si cela le dérangeait tant que ça; il n’y avait d’ailleurs bien que lui qu’il laissait faire ce genre de choses. Probablement que Russell n’aurait pas été particulièrement enthousiaste si cela n’avait pas été le cas, mais après tout...

Bougeant légèrement, il voulut se redresser - cette position commençait vraiment à devenir inconfortable - mais fut interrompu dans son mouvement par un son; la voix de Russell, encore. Cessant tout mouvement, il tenta de se concentrer sur ce que l’autre disait, manquant malgré tout le début de sa phrase.

-...à dos, tu veux? Et je vais t’aider à t’habiller pour...

Clignant des yeux, la suite ne fit que passer dans son esprit sans qu’il n’arrive à enregistrer autre chose que ‘sac’, ’improviste’ et ’cerise’. *Il veut quoi?* s’insurgea mentalement Isaak en jetant à Russell un regard courroucé que ce dernier ne dut fort probablement pas voir; ou alors, c’est que cela différait tellement peu de son expression habituelle qu’il ne le remarqua tout simplement pas. Le baiser qu’il ne manqua pas de recevoir par la suite ne parvint que modérément à diminuer son indignation. Finissant par se libérer de l’étreinte, il croisa les bras, le toisant du haut de son mètre cinquante-sept; s’il n’avait pas envie de sortir plus tôt, c’était encore moins le cas maintenant.

-J’ai pas vraiment envie, non. Et puis, je suis capable de m’habiller tout seul, j’ai pas quatre ans, ajouta Isaak d’un air à la fois accusateur et boudeur.

Puis, le fixant un moment sans rien dire, il finit par laisser échapper un léger soupir. Il avait peut-être été un rien trop sec; Russell n’avait pas voulut mal faire, il le savait, mais c’est juste que parfois, il pouvait être terriblement énervant, agaçant sans même s’en rendre compte. Et il avait horreur qu’on le traite comme un gamin, que ses intentions aient été bonnes ou pas; une question de principes, peut-être, allez savoir.

Mais voilà, il n’avait pas envie que Russell lui fasse la tête toute la soirée - ou qu’il passe les prochaines heures avec un air de chien battu sur le visage. Se mordillant un moment la lèvre inférieure, il tritura un moment la manche de sa veste, posant son regard sur le sol, le fixant comme si celui-ci saurait lui dire quoi faire. D’ailleurs, il y avait une tache étrange, d’une drôle de couleur, dont la forme lui rappelait vaguement un livre... Oh, d’ailleurs, est-ce qu’il avait un autre cours après ça? Non, sans doute pas, il venait de finir sa journée, non? Par contre, pour demain, il n’en avait vraiment aucune idée; c’était jeudi ou vendredi aujourd’hui? Quoi que, ça ne pouvait pas déjà être la fin de semaine, parce que hier - ce matin? - il... *Oh, c’est vrai, Russell...* pensa-t-il en clignant des yeux, cessant de regarder le sol à ses pieds. Secouant vaguement la tête, il jeta un regard en coin à l’adolescent en face de lui. Se contentant de lui prendre la main avec la ferme intention de retourner dans leur chambre, un air ennuyé sur le visage, il parvint tout juste à le faire bouger, ne se laissant malgré tout pas arrêter par la chose.

-On peut pas juste rentrer, à la place? Soupira-t-il finalement en le fixant du regard, espérant réussir à le convaincre sans avoir besoin d‘y passer les quinze prochaines minutes.

Il n’avait pas trop su comment interpréter le fait qu’Isaak s’était libéré de son étreinte; était-il tout simplement mal à l’aise parce que d’autres pouvaient les voir, ou y avait-il quelque chose qui le contrariait? À voir son expression contrariée et ses bras croisés, il penchait malheureusement plutôt pour la deuxième hypothèse, ce qui le rendait nerveux. Qu’avait-il encore fait qui lui valait d’être réprimandé? C’était parce qu’il avait dit qu’il sentait la cerise? Ou parce que maintenant, il n’aimait plus qu’il l’embrasse? S’il n’aimait pas ça, il arrêterait. Promis. Même s’il en avait cruellement envie, toujours, il arrêterait. Il leva les yeux vers Isaak, fixant les lèvres alors que l’autre parlait, ses paroles le laissant coi. Il ne bougeait plus, semblant s’être perdu dans les méandres d’un autre univers. Était-il devenu paraplégique sous le choc? Non. On pouvait voir sa poitrine se soulever malgré le choc, ses yeux frémir et ses mains trembler légèrement. Et tout ce qu’il réussit à faire ressortir du grand vide qui s’était installé dans sa tête était loin d’être glorieux.

- Bien sûr que non, t’as pas quatre ans. J’ai l’air d’un pédophile peut-être?

Et l’activité dans son cerveau reprit graduellement pour reprendre à un train phénoménal, mais qui, il faut se l’avouer, ne se concentrait pas sur la bonne chose. Il ne pensait pas au pourquoi de la question d’Isaak, mais plutôt au moyen le plus efficace d’apaiser sa colère. Un stratagème ou une belle tirade –voilà ce qu’il cherchait si activement. Il s’inquiétait, s’insurgeait, ne comprenait pas –et plus que tout, il voulait y aller, dehors.

Mais pourquoi il rejette l’idée aussi rapidement? Alors que je me suis donné la peine d’apporter tous ces trucs… la poisse! Il aurait pu demander pourquoi je voulais y aller, non? Ou bien… non, ce ne serait pas vraiment son genre de fournir une explication. De toute manière, l’explication serait probablement ‘J’ai pas envie’, alors ça va vaut mieux. Est-ce que je pourrais pas retourner dans le temps pour trouver une meilleure manière de le convaincre? Vaut mieux pas, avec ces histoires de paradoxes temporels. Et si j’essayais de faire un sit-in? Immature, complètement, mais j’en ai envie! Je ne veux pas rentrer, je ne veux pas le laisser partir. Oui, si je fais un sit-in, il va probablement me laisser en plan dans le corridor. C’est comme se faire poser un lapin deux fois de suite. Horrible. Je pourrais partir tout seul, mais je serais pas plus avancé. Comment le convaincre de venir? Il ne va pas faire aussi beau tous les jours. Il va bientôt y avoir les tempêtes de neiges, et après le verglas, et la neige sera trop haute pour qu’on puisse se promener et il fera trop froid et-

-Rentres si tu veux, fit Russell le plus clairement possible –histoire que l’information se rende jusqu’à l’autre. Je vais aller dehors tout seul. On se reverra à l’heure du souper Marmotte.

Il évita soigneusement de regarder dans la direction d’Isaak, essayant de cacher sa déception. Oui, il boudait! Est-ce que c’était mal? Un peu. Il aurait peut-être dû prendre l’invitation et passer du temps avec Isaak, même à l’intérieur, plutôt que de faire la tête et d’aller tout seul dehors, comme une âme désespérée. Qu’allait-il y faire, de toute manière? Rien. Juste penser à ce qu’il aurait pu faire avec Isaak et rien d’autre. Il enleva son manteau, le laissant tomber par terre avec le reste des vêtements avant d’enlever ses bottes. Il entreprit ensuite, dans la plus grande hâte, d’enfiler les pantalons de neige de son petit copain, sans se soucier du fait qu’ils étaient trop courts pour lui. Pas question de se débarrasser de tout ce qu’il avait apporté avec lui! Il mettrait ce qu’il pouvait, quitte à mourir de chaud, et irait ensuite dehors en transportant le surplus. Il enleva sa tuque –ses cheveux en bataille offraient un beau spectacle au passant, sa crinière blonde emplie de statique semblant vouloir tout faire pour ressembler à une boule disco- avant de mettre la cagoule et de réinstaller la tuque. Et tant pis pour l’effet mode, il y avait longtemps qu’il avait arrêté de s’en soucier. Il passa le foulard autour de son cou, mit les gants et les mitaines –dans l’ordre le plus logique- et repassa ses bras dans son propre manteau pour ensuite enfiler la doudoune. Il avait probablement le visage rougis par la chaleur que le moindre effort provoquait en lui, n’arrivant même pas à se pencher pour rentrer ses pantalons dans ses bottes.

- Dis, Isaak, dit-il d’un ton piteux, ça te dérangerait de me donner ce qui reste par terre avant de partir? J’ai un peu de difficulté à saisir les objets à cause des gants.

Il tira sur sa cagoule, essayant de respirer un peu plus d’air frais. Vivement le temps d’arriver dehors –non seulement il avait chaud, mais en plus, il était un pu à l’étroit dans les vêtements de son cadet. Mais il ne le lui aurait jamais dit –même son instinct de survie à lui était plus développé.

N’écoutant que d’une oreille distraite les paroles de Russell - à savoir, pas du tout -, il le fixait, immobile, cherchant d’une manière ou d’une autre à interpréter sa réaction. Non, il n’y avait pas à dire, il n’avait pas l’air content; pas vraiment fâché mais pas particulièrement heureux, ça c’était certain. Oui, peut-être aurait-il dû faire un peu plus attention à ce qu’il disait, mais après tout, ce qui était fait était fait, et il ne pourrait rien y changer quand bien même il l’aurait voulut. Et, pour une fois, l'autre semblait ne plus vraiment savoir quoi dire; c’était là une chose relativement étrange en soi, considérant que, la plupart du temps, c’était comme si rien n’arrivait jamais vraiment à le faire taire. C’était d’ailleurs à se demander où il pouvait bien trouver toutes les choses qu’il disait; quoique, en même temps, il aurait bien pu se répéter qu’il ne l’aurait probablement pas remarqué.

Son attention fut soudainement attirée par un mouvement en face de lui. Haussant un sourcil, une expression perplexe se dessinant sur son visage, il regarda Russell en silence, l’air de dire ‘’mais qu’est-ce que tu fou?’’ tandis que l‘autre se déshabillait devant lui, avant de commencer à mettre un par un les vêtements qui se trouvaient désormais sur le sol. Il faudrait vraiment qu’il pense à lui dire d’arrêter de faire ce genre de choses, à l’avenir. Non, mais, vraiment, se déshabiller dans un couloir? Bon, ce n’était pas comme s’il avait enlevé beaucoup de vêtements non plus, mais si jamais quelqu’un était venu et l’avait vu faire, il aurait pu s’imaginer un peu n’importe quoi. Pourtant, il était convaincu qu’il lui en avait déjà parlé; à moins qu’il l’ait seulement pensé vraiment fort? Cela serait un peu triste, quand même, quand on y pense; triste, oui, mais pas vraiment étonnant.

Enfin, il pourrait toujours essayer de lui en reparler plus tard, sinon; ce n’était pas comme s’il avait vraiment mieux à faire de sa soirée de toute façon. Ça et étudier son anglais, peut-être. Ou pas. Ce n’était pas comme si c’était vraiment si grave que cela si jamais il ne le faisait pas; il doutait que le professeur s’en rende seulement compte, de l’autre côté de son écran. Fronçant les sourcils, il ne pu s’empêcher de se demander ce qu’il se passerait si jamais il y avait une panne de courant dans l’école; peut-être seraient-ils exemptés de cours? Après tout, sans électricité pour faire fonctionner le système de vidéo-conférence, les cours ne pourraient probablement pas avoir lieu... Quoi que, déjà, il faudrait savoir si une panne de courant à Crescent était seulement possible; la magie du créateur arriverait probablement à prévenir ce genre de choses. Il pourrait toujours demander à Russell ce qu’il en pensait, après lui avoir parlé de... De quoi déjà? Haussant les épaules, il laissa tomber le sujet; ça ne devait pas être important, sans doute. Focalisant une nouvelle fois son attention sur son ami, il baissa lentement les yeux, regardant Russell de haut en bas, détaillant son habillement du regard.

-Eh, mais... Commença-t-il à mi-voix en fixant Russell, l’air un rien troublé.

Ce ne serait pas ses vêtements qu’il était en train de mettre? Mais pourquoi donc? Cela était complètement stupide, et ce n’était pas comme s’ils allaient simplement lui faire non plus. Pour peu, il aurait pratiquement pu ressembler à un épouvantail. Ce fut le son de son nom qui le fit revenir à la réalité, l'obligeant à cesser de le fixer comme si une deuxième tête venait de lui pousser.

-...ça te dérangerait de me donner ce qui reste par terre avant de partir?

-Partir? Partir où? Fit Isaak en haussant un sourcil, toujours hypnotisé par l’horrible accoutrement de copain.

S’exécutant néanmoins, il ramassa les quelques pièces de tissus qui traînaient encore sur le sol, oubliant toutefois de les lui donner alors qu’il prenait un air pratiquement songeur. Apparemment, Russell avait vraiment l’intention de sortir, qu’il le veuille ou non. Et autant il aurait voulut rentrer tout de suite dans leur chambre, autant il n’avait pas envie de s’y retrouver seul à attendre que l’autre daigne rentrer. C’était une chose que d’être là bas tout seul, mais s’en était une autre de l’être en sachant que, justement, cela aurait pu ne pas être le cas.

-Enlève ça, dit soudaient Isaak sur un ton agacé. Tu as l’air d’un abrutit.

Puis, alors que son regard alternait entre Russell et l’autre bout du couloir, il sentit sa volonté fondre, vite remplacé par quelque chose qui ressemblait étrangement à de la résignation. Après tout... Il pouvait bien y aller avec lui un moment, histoire de lui faire plaisir - et pour en profiter afin d’essayer de le convaincre de rentrer le plus tôt possible, aussi. Et si jamais il lui faisait encore un coup foireux, que ce soit volontaire ou non, il allait le lui faire payer en l’ignorant durant une bonne semaine, et en refusant toutes ses futures demandes. Soupirant, il finit par marmonner d‘un ton presque suppliant malgré lui:

-Tu promets qu’on va pas rester là-bas trop longtemps?

Il aimait l’air troublé qui s’affichait sporadiquement sur le visage enfantin d’Isaak. Oh, au début, il s’était bien demandé pourquoi l’autre exécutait une tâche pour ensuite s’arrêter et regarder le fruit de son travail sans sembler comprendre qui l’avait posé devant lui. Sauf qu’à la longue, oui, il y avait du charme dans ces manières de tête-en-l’air; à croire qu’il le faisait exprès (sauf que si c’était le cas, ce serait paradoxal). À la première question du noiraud, il préféra ne rien répondre : il arriverait bien à s’en souvenir tout seul. Drôle comme il avait tendance à tout oublier lorsque c’était le temps –sauf pour se fâcher. Parfois, il avait envie de soupirer et de baisser les bras. Mais oh! Les relations, ça se fait à deux : sa part à lui était d’accepter cette partie d’Isaak, comme Isaak acceptait ses bévues. Et un jour –oui, un jour, ils réussiraient à sortir d’ici, et ils arriveraient à rester ensemble. Ce n’était pas encore le cas –il le savait bien- mais cela viendrait. Cela faisait partit des choses qui l’empêchaient de chercher activement à quitter l’école, après tout. Parfois, il aurait eu envie d’étendre les bras et d’envelopper Isaak –sauf qu’au fond, il savait bien que ce qu’il cherchait, c’était le contraire. Parce qu’Isaak était loin d’être immuable, il pouvait se sentir en sécurité dans le chaos de ses émotions à lui, à défaut des siennes.

- J’ai l’impression que tu me le dis souvent, fit Russell en tendant les mains vers le paquet que son cadet ne semblait pas prêt à lui donner. Tu attends quelqu’un? ajouta-t-il en voyant Isaak faire des aller-retour entre lui et l’autre bout du corridor.

Il ne put, malgré toute sa bonne volonté, s’empêcher de sourire en voyant que l’autre cédait enfin. Il n’y espérait plus, en fait; il avait simplement espéré, au mieux, qu’Isaak lui parle avec un peu plus d’entrain une fois arrivé au repas du soir. Il se dépêcha d’enlever tout ce qu’il avait pris la peine de mettre quelques instants plus tôt, tendant préalablement ses mains vers Isaak pour qu’il l’aide à enlever les gants. Ces derniers gênaient ses mouvements au point à il n’arrivait pas à dézipper sa fermeture éclair de manteau. Il passa sa main dans ses cheveux, ce qui causa un léger choc électrique : ce que l’électricité statique peut faire. Il sourit timidement, ne sachant pas trop quoi dire à Isaak. Être honnête, c’est important, plus que tout, mais en même temps, il ne voulait absolument pas le faire changer d’idée.

-Écoutes, commença Russell, ça, c’est quelque chose que je peux vraiment pas te promettre. Moi et la notion du temps, de toute manière… Je te dis qu’on va être rentré pour l’heure du souper, mais autrement, je peux pas te promettre qu’on n’y sera pas longtemps. Ça dépendra de ce que tu en penses une fois là-bas, d’accord?

Il enleva finalement le pantalon de neige, le tendant vers le jeune homme en souriant.

- Ce qui est certain, c’est que tu auras pas froid, alors inquiètes toi pas pour ça. D’ailleurs… je pourrai au moins te mettre l’écharpe?

Russell lui offrit son plus grand sourire, histoire de l’aveugler un peu. Juste l’écharpe! Si c’était seulement ça, il voudrait bien lui laisser la mettre? Et en même temps, il pourrait glisser ses doigts sur la peau délicate –et blanche, trop blanche- du cou, et ne pas du tout penser aux joues qui allaient bientôt devenir un peu rosées. Il ne faisait pas d’obsession sur la beauté d’Isaak, non –seulement, avec son air parfois renfrogné ou hagard, il ressemblait aux poupées de porcelaines, celles dont les traits semblent infiniment doux et précis. Et avec son bandeau sur son œil droit, on aurait dit que quelqu’un de maladroit l’avait cassé sans être capable de le réparer totalement. Il n’avait jamais pensé à le lui demander. Pourquoi t’as un bandeau sur l’œil? C’était son erreur. Parce qu’ici, comme tout le monde, il évitait de poser des questions sur le passé, sur avant Crescent. Hors, s’il voulait sortir d’ici, s’il voulait vraiment connaître Isaak –et pas seulement celui de Crescent- il faudrait un jour qu’il le fasse. Et pas seulement sur le bandage, mais sur tout –sa première dent de lait, sa première bicyclette, la maternelle, les amis, son groupe de musique préféré. Qu’est-ce qu’ils connaissaient l’un de l’autre, au final? Lui parlait tout le temps, alors Isaak avait dû se faire une idée. Et si ce n’avait pas été le cas, ça n’aurait pu être retenu contre lui. Mais Isaak, au final, ne parlait pas si souvent de lui. Et ça, c’était quelque chose qu’il devait modifier.

Et oui, il venait, là, tout juste, en plein milieu du couloir, de s’en rendre compte. Comme quoi, parfois, les éclairs de génies arrivent même à des moments banaux.

- Alors, fit Russell en remettant ses bottes, comment s’est passé ton cours? Tu as pris des notes cette fois? Tu sais, c’est peut-être facile pour toi maintenant, mais à partir de l’année prochaine, si tu prends pas de note, tu vas vraiment avoir de la difficulté. Les livres veulent souvent rien dire… et les profs holographiques, c’est pas toujours le top pour t’expliquer ce que t’as à comprendre.

Il ne pouvait bien malgré lui s’empêcher de trouver que son petit ami avait l’air bien trop satisfait pour son propre bien; pour peu, cela lui donnait presque envie de revenir sur sa décision et de rentrer tout de suite, au risque de le fâcher. Mais enfin, cela aurait été un peu méchant - et plutôt immature - de sa part, alors ne fit simplement que détourner les yeux d’un air renfrogné, l’air de dire ’tu attends quoi? J’ai autre chose à faire de ma journée, moi.’ Non mais; il était mieux de ne pas se moquer de lui, car autrement, il allait en entendre parler. Croisant les bras, c’est tout juste s’il remarqua qu’il avait encore du tissus dans les mains - il lui semblait pourtant que Russell les avait reprit, plus tôt... Peut-être se trompait-il, allez savoir... Clignant des yeux, il posa de nouveau son regard sur le visage de l’autre, se rendant soudainement compte que ce dernier était en train de lui parler.

-...attend quelqu’un?

-Hein? répondit Isaak en haussant un sourcil.

Ils attendaient quelqu’un? Mais pourtant, il pensait qu’il n’allait y avoir qu’eux deux, là bas; il n’avait envie de voir personne d’autre, et n’avait, de toute manière, aucune idée de qui il pourrait bien s’agit. Étonnamment, malgré tout le temps qu’il avait passé ici, ce n’était pas comme s’il connaissait beaucoup de gens; sans doute moins, même, que les gens le connaissaient lui, compte tenu de son médiocre talent pour retenir les noms et visages des autres. Pourtant, il ne savait pas qui Russell aurait pu vouloir voir; il ne le voyait pas particulièrement souvent avec d’autres personnes. Ou alors, il n’y portait peut-être pas suffisamment attention. Oui, c’était sans doute le cas...

Cessant soudainement de s’inquiéter de la chose alors que l’autre tendait les bras vers lui, il lui enleva machinalement ses gants, manquant sans s’en rendre compte d’échapper ce qu’il tenait. L’observant sans vraiment y porter attention, Isaak regardait Russell enlever les multiples couches de vêtements qu’il avait au préalablement enfilés; d’ailleurs, il ne comprenait toujours pas ce qu’il lui avait prit d’en mettre autant - et d’en apporter autant, par la même occasion. Surtout que c’était là une vrai perte de temps; mais enfin, si l’autre avait envie de passer son temps à mettre et enlever ses vêtements d’hiver, ce n’était certes pas lui qui allait l’empêcher de le faire. Et puis, plus longtemps ils restaient ici, moins longtemps ils allaient être dehors; du moins, en théorie...

-...je peux vraiment pas te promettre. Moi et...

*Hein? Me promettre quoi?* se dit Isaak en le regardant d’un air probablement un rien perdu. Il ne lui avait pas demandé de lui promettre quelque chose... pas vrai? Enfin, il l’espérait, parce qu’apparemment, Russell n’allait pas pouvoir la tenir, cette stupide promesse. Il espérait seulement que ce n’était pas quelque chose d’important...

-...Ça dépendra de ce que tu en penses une fois là-bas, d’accord? ajouta Russell tandis qu’il était occupé à, il fallait bien le dire, ne pas l’écouter du tout.

-Ce que je pense de quoi? Répondit-il un peu sèchement sur un ton bougon.

Non, mais, il pourrait au moins lui dire de quoi il était en train de lui parler, avant de commencer à raconter n’importe quoi! Il ne lui était, bien entendu, jamais venu à l’esprit que c’était peut-être lui qui n’avait pas suffisamment porté attention aux paroles de l’autre - mais passons. Triturant sans vraiment le remarquer l’un des multiples vêtements qu’il avait entre les mains, il songea qu’il devrait peut-être commencer à s’habiller; pour ce qu’il en savait, il faisait peut-être vraiment froid dehors. Après tout, même si Russell ne serait sans doute pas sortit si la température était si désagréable que ça, ils n’avaient pas la même notion de ce qui était froid ou non. Et il détestait avoir froid. Comme il détestait aussi avoir trop chaud; il n’aimait pas un bon nombre de choses, au final.

-...que tu auras pas froid, alors...

-Ouais, si tu le dis... marmonna Isaak en guise de réponse, prenant presque mécaniquement les pantalons qu’il lui tendait, l’ajoutant à sa pile de tissus.

-D’ailleurs… je pourrai au moins te mettre l’écharpe?

-Mh? Fit-il en le regardant, les sourcils froncés tandis que son copain lui souriait beaucoup trop pour que ce ne soit pas louche.

Il voulait l’habiller? Mais pourquoi? D’ailleurs, il avait en cet instant une vague impression ressemblant étrangement à du déjà vu. Oui, vraiment, c’était presque offusquant à quel point Russell pouvait avoir des demandes... étranges. Et puis, ce n’était pas comme s’il n’était pas capable de la mettre tout seul, de toute façon, cette stupide écharpe. Mais enfin... Sans doute que ça allait lui faire plaisir, et puis, avec tout ce qu’il tenait...

-Bon, si tu veux, soupira-t-il en haussant les épaules.

Et puis, au moins, il allait le laisser tranquille. Surtout qu’il commençait à en avoir vraiment marre de rester planté là, debout dans ce couloir pratiquement désert, à attendre qu’ils se décident à sortir enfin; en plus, s’ils ne se dépêchaient pas, il allait finir par faire complètement noir à l’extérieur. Enfin, si ce n’était pas déjà le cas... Il n’avait pas vraiment remarqué, tout à l’heure, lorsqu’il regardait par la fenêtre au lieu de suivre le cours, mais on ne savait jamais...

Tournant légèrement la tête, il porta une fois de plus son attention sur Russell - ne s’arrêtait-il jamais de parler?-, le fixant d’un air presque désintéressé malgré lui. *Comment se sont passés mes cours?* répéta-t-il mentalement, cessant aussitôt d’écouter le presque monologue que son ami était en train de faire. Ce n’était pas comme s’il en avait quelque chose à faire, des cours, de toute manière... Il n’avait qu’une envie: qu’ils se terminent au plus vite, qu’il n’ait plus besoin de les suivre. Il savait que c’était important, mais il n’aimait pas ça, c’était plus fort que lui.

-Bah... Ça allait comme d’habitude, j’imagine... marmonna-t-il finalement, fixant le plancher en ayant presque l’air de le trouver intéressant.

Il espérait juste que son petit ami n’allait pas se mettre en tête de le faire réviser pour le restant de la soirée...

[Suite dans La Roseraie]